
L.S.J.C Saint-Méen, 16 février 1872
Mes chères filles,
Un sage conseiller nous dit qu’un esprit sage n’agit jamais sans réflexion, est-ce à ce grave emploi que j’ai dépensé le temps écoulé depuis la réception de vos vœux de nouvel an ? Oh ! non ; il ne faut pas un tel espace au cœur d’une Mère pour traiter avec ses enfants : il suffirait ce temps à produire des volumes. Cependant, il s’est passé, et je me suis tue. Quel est donc le secret de cet étrange silence ?... Ah ! mes bonnes filles, c’est que le temps qui a multiplié ma nombreuse famille, a grandement altéré mes moyens d’action. Le jour, qui, jadis pour moi, se prolongeait jusqu’au clair de lune aujourd’hui me refuse, souvent, sa lumière au milieu de son cours ; un nuage obscur met aux arrêts et ma plume et mes idées. Et cependant, j’avais et j’ai encore beaucoup à dire. Que mes chères créancières attendent donc avec indulgence leur pauvre débitrice, ruinée par le temps et qu’elles la tienne quitte avec le peu qu’elle pourra leur donner.
« La première des pauvretés est de s’accepter telle qu’on est, de savoir rendre grâce aussi bien pour les dons reçus que pour nos limites » (R.V Adoration N°18)
Je vous remercie toutes, mes bien chères enfants, des vœux et des prières que vous adressez au ciel pour le bonheur de votre mère, redoublez-en la ferveur auprès du miséricordieux, mais juste débiteur qui ne peut tarder longtemps à lui demander des comptes, comptes bien longs, mes enfants, qui réclameront, je n’en doute point , son infinie bonté ; en laquelle toutefois j’espère de tout mon cœur..
« Sa vie « toute de charité » a sa source dans le cœur de Dieu dont l’Amour se révèle à elle plein de tendresse et de miséricorde. L’Esprit fait jaillir en son cœur l’action de grâce et lui donne de découvrir le secret de la joie et de la paix …
Que tous les remerciements, que chacune de vous m’adresse, pour je ne sais quels biens dont vous m’établissez l’auteur, se tournent vers la douce providence de notre Père qui est au ciel, et de qui vient tout don parfait. Oh oui, mes chères enfants ! Rendons-Lui grâces, à tous les instants, des soins que sa tendresse prend de chacune de ses créatures ; et spécialement de celles qu’il appelle à partager sa félicité, troupe heureuse ! dont sans nul doute nous faisons partie.
…Sa prière se nourrit de l’Ecriture « où se trouve le vrai beau et où l’âme s’agrandit . Elle y puise la force de rechercher la Volonté de Dieu en toutes choses et d’adorer le Père de qui vient tout don parfait » ( RV 1 Page 7 )
En lui rendant hommage de ses bienfaits, souvenons-nous, mes chères filles, des infortunés qui l’outragent ; demandons pour eux, les lumières qui doivent les ramener dans la bonne voie, et faire tomber, de leur coupables mains, les armes qu’ils dirigent contre sa gloire et contre leurs frères.
Nous ne saurions prier assez pour obtenir une telle grâce. Unissons donc nos cœurs pour cette œuvre, et espérons que le Bon Dieu entendra les vœux de ses enfants fidèles, et rendra la paix à la religion, si persécutée , et en même temps à notre malheureuse France.
Quand je pourrai aller vous voir, mes bien chères filles, croyez que ce sera un vrai plaisir pour votre toute affectionnée et dévouée Mère.
St Félix I.M.C.
Ne vous étonnez pas, mes bonnes filles, de voir tant de mots en interlignes, il est des instants où mes yeux n’aperçoivent pas ces omissions.
« Vieillesse : …
Avec les ressources de votre tempérament et avec l’aide de Dieu, restez souriants, bienveillants disponibles.
Cette étape de votre vie doit être un temps d’ascension morale et spirituelle, un accomplissement serein et merveilleux de toute votre existence..
Je dirai volontiers que vos lieux de retraite peuvent être, en miniature, des modèles de société où règnent la tolérance, l’amitié, l’entr’aide, la fraternité, la paix, la foi … »(Allocution de Jean-Paul II, le 14 octobre 1982 lors de la Béatification de Jeanne Jugan)